Féminisme, Mood

Et le patriarcat créa la femme

En tout temps il existe des critères de beauté qui font leur apparition et finissent par s’uniformiser pour former une tendance, qui pourra ensuite devenir une norme durant de nombreuses années.

Si je vous dis années 60, on a toutes en tête des femmes en jupes crayon, coiffures retro, eye liner, porte jarretelles,… un style que les femmes ont très longtemps continué d’admirer, moi la première, qui n’a jamais voulu s’habiller comme dans Mad Men ? Parce que c’est beau et féminin, que ça nous plait à nous, mais aussi parce qu’il s’agit de tenues qui font de nous des objets de désir. Ce post s’appuie sur ce constat : dans notre société patriarcale, on nous conditionne, malgré nous et inconsciemment, à plaire aux hommes, et à répondre aux normes de leurs fantasmes.

Ce phénomène est alimenté par des icônes qui inspirent toute une génération, prenons l’exemple de Marylin Monroe qui a été LA femme la plus connue, imitée et désirée de la planète, ou de Brigitte Bardot en France. La société dit à ces icônes, et donc à toutes les femmes qui s’en inspirent, que leur valeur repose sur leur physique et l’image qu’elles renvoient, sur le désir qu’elles parviendront à susciter chez les hommes, sur la jalousie qu’elles parviendront à susciter chez les femmes : nous sommes nées condamnées à cette quête, que toutes les luttes féministes ont justement pour objet de rompre. Militer pour l’égalité homme-femme c’est redonner toute leur liberté aux femmes, c’est les laisser disposer de leur esprit et de leur corps, c’est supprimer les rapport de forces qui demeurent encore aujourd’hui en faveur de la domination des hommes. Cela revient forcément à « désapprendre » ce qui est devenu un réflexe presque plavlovien, tant nous l’avons intégré.

Dans tous les standards de beauté qui ont pu exister depuis la nuit des temps, nous les femmes, sommes otages de cette vision idéalisée d’une femme éternellement jeune, lisse, réduite à son apparence physique, un idéal utopique en somme. Et si avant, chaque culture avait plus ou moins son propre idéal, aujourd’hui on retrouve dans quasiment toutes les sociétés modernes à travers le monde, des normes de beauté parfaitement standardisés devenues universelles.

Drôle de dichotomie, les luttes féministes pour nous émanciper du patriarcat n’ont jamais été aussi fortes, mais notre image n’a jamais été tant contrôlée, uniformisée, au point qu’il n’existe plus de beautés plurielles, la beauté est devenue unique, fabrique des clones, et au vu de l’argent que l’industrie esthétique génère, la beauté est plus que jamais capitaliste.

Ces dernières années on peut en effet constater à notre tour l’émergence d’une tendance mais qui cette fois repose sur une beauté surréaliste et très uniformisée. Kim Kardashian de par l’influence qu’elle est parvenue à développer, est devenue très vite notamment grâce à l’avènement d’Instagram la plus grande créatrice de tendance des années 2000. Si on devait nommer la femme moderne qui a le plus influencé l’apparence des femmes, dans la lignée des Marylin Monroe, ce serait bien elle, son influence est telle qu’elle est à origine de cette uniformisation, et surtout d’un phénomène qui n’existait récemment que dans certaines sphères très patriarcales, où les femmes avaient pour devoir d’être les plus belles possibles. Comme les femmes aristocrates en France il y a 300 ans, et parfois à servir, cela va ensemble, comme chez les Geisha, chez la femme russe qui est conditionnée à la perfection pour trouver un mari ou un poste, et oser espérer s’élever socialement, chez les femmes du Moyen Orient, des émirats à l’Iran en passant par le Liban, et c’est là que je veux en venir. On parle donc de sphères très inégalitaires où la valeur d’une femme passe en premier lieu par sa capacité à plaire à l’homme, et par sa capacité de soumission. A la façon qu’il pourrait posséder un pur sang, la stature d’un homme passe ainsi notamment par la femme qu’il a à son bras, qui même si elle est voilée, doit entretenir cette dichotomie étrange entre la règle religieuse qui consiste à ne pas attirer le regard masculin, et la règle sociale qui consiste à être la plus belle possible. La Maman et la putain des pays islamistes en somme, c’est quelque chose.

Les chiffres de chirurgie et de médecine esthétiques ont explosé en moins de 10 ans, particulièrement dans ces contrées où le féminisme n’a aucune place, et où l’injonction est encore plus folle : tout est refait mais avec « goût », le but n’étant pas d’être une bimbo mais d’atteindre une beauté parfaite et désirable qui pourrait être naturelle, comme une Angelina Jolie qui avant représentait un ovni dans la beauté, et c’était bien comme ça.

En Europe, aux Etats-Unis,… où toujours à cause du patriarcat la sexualisation de la femme est à l’inverse poussée à son comble, on peut également constater l’uniformisation d’un corps naturellement inexistant. Un corps de « bête sexuelle » qu’on essayait déjà de créer dans l’industrie musicale ou la pornographie, reposant sur une forte poitrine, une taille extrêmement fine, et des fesses hors norme, de l’ordre de la femme imaginaire qui n’était autrefois qu’un fantasme masculin dessiné sur papier glacé sur un manga, dans les animés ou encore les jeux vidéos. Difficile de ne pas y voir également une appropriation et une forte exagération/idéalisation du corps des femmes africaines (fesses, lèvres), de la peau mate des femmes arabes et latino, des cheveux des femmes indiennes ou asiatiques, on a fait un prototype de la femme parfaite en piochant dans les particularités physiques dans tous les « mythes » et fétichismes que les hommes ont crée autour de la Femme, même s’ils sont parfois les conséquences directes du colonialisme, du racisme ou de la domination masculine. C’est cette quête d’exotisme et cette vision coloniale de la femme racisée qui explique cette beauté plus que jamais unique et uniformisée, et qui peut aussi expliquer que des blanches se font passer pour des arabes en France (Mila et sa soeur), ou que des blanches et des latina se foncent trop la peau aux Etats Unis (Ariana Grande). Il s’agit toujours d’être plus attirante pour les hommes.

Si avant la chirurgie était réservée à une population aisée, aujourd’hui les télé-réalité et Instagram font tellement d’audience dans les milieux populaires et les classes moyennes, que des femmes qui ont peu de moyens font des crédits à la consommation pour s’offrir ce physique devenu pour beaucoup de femmes (et d’hommes) le seul physique valable. Mais seules les femmes qui ont beaucoup d’argent peuvent accéder aux meilleurs chirurgiens et avoir des résultats spectaculaires, sans ratés.

Les autres femmes n’auront jamais les moyens de mettre le même prix que les kardashian et les femmes aisées qu’elles veulent imiter, ce phénomène implique donc de vrais ratés dans la population normale (la bouche de canard, le brazilian butt lift qui déforme le corps, et qui est à ce jour l’opération la plus dangereuse en terme de taux de mortalité…) ou pire, une réelle mise en danger, on ne compte plus le nombre de morts à cause des injections clandestines en Amérique du Sud et aux Etats Unis par exemple.

Les danseuses ou les strip teaseuses ne peuvent plus gagner suffisamment d’argent si elles ne se mettent pas « au niveau » en terme de volume fessier, or ce sont déjà des femmes précaires et la mise en danger est alors inévitable, surtout quand on est en quête de volumes inhumains.

Dans les quartiers nord de Marseille ce phénomène fait des ravages et stigmatise des femmes déjà trop stigmatisées : la précarité implique que nous ne sommes pas dans la « classe » et la « perfection » Kardashian. Kim vient d’un milieu très bourgeois, elle est née riche, elle a construit un empire autour de son corps et sa sexualité, aidée par sa propre mère, si on pouvait se dire qu’elle était victime du patriarcat, je considère qu’elle est bourgeoise avant d’être femme, et que la condition sociale supplante la couleur de peau et le genre, et qu’elle a surtout su en tirer profit. Parce que patriarcat et capitalisme, ça va forcément ensemble.

Donc elle a su reprendre le pouvoir et ne plus être sous le joug du patriarcat, dommage que ce soit au détriment des autres femmes qui en sont plus victimes que jamais, que ce soit au détriment de la jeunesse et de toute considération éthique.

La bourgeoisie n’a pas d’éthique, qu’elle soit femme ou homme. La bourgeoisie est au service du capitalisme et du patriarcat, la bourgeoisie est un obstacle aux avancées féministes et sociales.

Pourquoi ce post ?

Avec ce post je voulais simplement sensibiliser à un phénomène qui nous touche toutes, en montrant que nous en sommes victimes malgré nous, et que dans ce contexte tous les discours de positivité autour du corps ne changeront jamais rien à cela, et génèrent au contraire une sorte de biais cognitif. Au delà d’apprendre à s’aimer comme on est (évidemment qu’il faut travailler en ce sens), il faut d’abord comprendre les mécanismes qui nous poussent à ne pas nous aimer comme on est.

Le but n’est en aucun cas d’être contre la chirurgie au contraire, surtout qu’il y a 10 ans en France elle reposait encore sur une quête de naturel, mais de comprendre un phénomène qui devient malsain pour nous toutes : les 18-25 ans sont passées devant les plus de 45 ans en terme d’intervention esthétique, et toute la journée les médecins reçoivent de jeunes filles qui veulent avoir le même visage qu’avec leur filtre préféré. On a dépassé depuis bien longtemps le cadre du complexe : ce phénomène empêche la construction des jeunes filles qui ne pourront jamais accepter leurs corps car tous leurs modèles n’ont plus leur corps d’origine. Le dysmorphisme va sévir plus que jamais, le contouring devient une habitude à un âge où il était avant apprécié d’avoir une « baby face », les jeunes filles n’ont jamais tant ressemblé à des femmes adultes, la vie sexuelle des adolescents va en pâtir de plus en plus, on n’a pas encore idée de toutes les conséquences possible, c’est si récent finalement.

Cela génère aussi un problème de sororité évident : les femmes « naturelles » s’opposent aux femmes « refaites », parce qu’il est humain de vouloir que son mec sache que cette femme sur laquelle il fantasme, n’a pas des fesses naturelles contrairement à nous, parce que la loi de la nature qui faisait la loterie de la beauté a été remplacée par la loi de la piqure, ce qui créé des inégalités plus sociales et fabriquées que naturelles. L’uniformisation des corps et des visages des femmes est aussi due à cette compétition arbitrée par le patriarcat.

Avant on acceptait plus facilement que les stars aient tous ces atouts favorisés par l’argent, aujourd’hui c’est dur de voir partout sur Instagram et même dans la rue, des femmes comme nous, avoir ces privilèges.

J’ai l’impression que les femmes qui y échappent sont celles de la sphère intellectuelle, pas nécessairement parce qu’elles sont plus en accord avec elles-même, mais parce que le patriarcat implique également que l’on doit faire le choix entre être perçue comme intelligente ou désirable, les deux n’allant pas de paire pour notre société.

A mon échelle c’est une dualité que j’ai toujours ressentie.

Ps : Je n’accuse pas Kim Kardashian, je dis qu’elle a été un vecteur très influent du patriarcat, et quand on connait son parcours, il n’est pas compliqué de deviner qu’elle a intégré plus que personne que sa valeur passait par sa sexualité et sa désirabilité. Kanye West était avec Amber Rose avant elle, et elle était une des premières à avoir refait ses fesses avec un volume énorme. Si les autres Amber et Nicki assumaient le côté pornographique de leurs corps refaits, Kim a quant à elle repris les codes de la pornographie et de l’industrie musicale et les a rendus chics et standards

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