Look, Mood

Costume rose : la consommation, l’influence mode et… moi

Quand je vous montrais ce costume rose le mois dernier sur instagram, je vous disais que je n’avais pas fait de shopping pendant presque 2 ans. J’achetais uniquement ce dont j’avais besoin, comme quand j’étais jeune sauf qu’à cette époque je n’avais pas le choix. La pandémie a eu un drôle d’effet, négatif en apparence mais positif à l’intérieur, c’est comme si elle m’avait fait remonter le temps. Au fil des mois je retrouvais une version de moi qui avait longtemps existé, mais qui avait forcément fini par disparaitre un peu, quand j’ai cessé d’être pauvre. Si j’ai toujours aimé être stylée, jusqu’à ce que je touche mon premier salaire de cadre à 24 ans, j’ai été obligée de composer avec le minimum, et je crois bien que quand on vit comme ça aussi longtemps c’est quelque chose qui finit par faire partie de nous. Je me souviens avoir pris un billet pour Londres et avoir fait presque 1500€ de shopping, pour la première fois je me constituais une garde robe qui ne tenait plus seulement dans 2 tiroirs. Moi qui avais toujours promis que mon premier gros achat serait une paire de Louboutin, j’ai réalisé quand j’ai enfin eu les moyens de le faire, que je ne voulais rien avoir à faire avec le Luxe et son industrie. La seule chose luxueuse qui pourrait me faire dépenser sans compter si j’en avais la possibilité, serait une voiture, dans une version la plus écologique possible, mon handicap faisant que je ne peux pas me passer de voiture.

Quand je regarde un sac Channel à 6000 euros, le fameux modèle matelassé tant plébiscité, je suis très dubitative je dois l’avouer. Parce que même à 200 euros je ne porterai pas ce sac, même gratuitement car à dire vrai je le trouve très moche, surement à cause du symbole qu’il renvoie, je ne sais pas… Alors oui vous me direz  « les goûts et les couleurs », je vous dirai « tout à fait », parce que c’est tellement reposant les formules de politesse. Dans les faits les goûts et les couleurs, et la notion de « beau », sont dépendants de beaucoup de choses qui nous dépassent, surtout en matière de luxe, nous n’avons pas le libre arbitre que nous croyons avoir, surtout quand on économise 4 ans pour acheter un sac à main. Le luxe me dérange pour des raisons qui ne sont pas que subjectives mais je ne peux pas développer tout ce que je dis car je dois réussir à faire un article de moins de 10 minutes :D

Suite à ce post où j’abordais ma diète shopping en légende, je voulais revenir un peu plus en détails sur mon rapport à la consommation vestimentaire et pourquoi j’ai toujours refusé d’être uniquement blogueuse mode, alors que c’est ce qui m’a fait connaître (assez pour en vivre) et qui me rapportait le plus de visites, de followers, et d’argent. On me demande souvent autour de moi pourquoi je ne reprends pas la mode à temps plein, plutôt que d’investir mon temps dans des contenus textes qui ne rapportent pas vraiment d’argent.

Le fait est que j’ai eu beau réfléchir, je pense que l’influence mode même lorsque la consommation se veut responsable, génère forcément une sur-consommation. C’est un métier qui pousse à des achats qu’on n’aurait pas fait si on avait un autre métier. Acheter en friperie ne dispense pas de devoir réduire ses achats, collaborer avec des marques qui ont une ligne éthique parmi 12 lignes problématiques, nous fait participer à leur green washing. On voit ça partout, franchement par exemple quand Herta sort un jambon bio alors que 95% de ses autres produits ne sont pas bio, la marque a juste répondu à un souhait du consommateur mais ne change strictement rien à la planète, au contraire c’est un produit de plus, c’est de la fabrication en plus, du plastique en plus. Pareil pour les Zara, H&M et autre Mango qui ont leur ligne éthique : on les achetant on fait gonfler le chiffre d’affaire de la marque qui continue d’exploiter des gens pour 99% de ses autres produits. Des marques comme Sezane ou Rouje ne sont pas si éthiques qu’on ne le pense, mais ça j’y reviendrai car ce serait trop long. Le fait est que je pense que consommer mieux n’est pas qu’une question de fabrication, de pays d’origine, c’est aussi une histoire de quantité et d’habitudes. On est formatés à sur consommer, donc il faut peut-être désapprendre à acheter trop.

Je disais qu’au delà de quelques sessions shopping, même quand j’ai bien gagné ma vie, je n’ai jamais été une grosse consommatrice, jusqu’à ce que je devienne influenceuse mode, la seule période où j’ai acheté plus de vêtements que de raison était celle où je postais des looks sur le blog et Instagram de façon régulière, c’est même ce qui m’a fait percer : je bloguais depuis un an avec des recettes et des voyages, puis je me suis mise à la mode et je venais de m’installer à Paris quand Le Bonbon m’a classée dans les 10 blogueuses mode parisiennes à suivre (6 mois avant j’étais messine 😂). Il existait la plateforme Hellocoton qui me faisait connaître à des milliers de personnes à chaque article publié, très vite j’ai fini par être invitée quasiment partout, à tous les évènements de la blogosphère, à des voyages presse juste pour assister à un défilé, si au début cela semblait excitant je n’étais pas du tout dans mon élément, cela ne se voyait pas forcément mais c’était d’autant plus fatiguant de faire des efforts de socialisation intensive, d’autant qu’ils sont presque indispensables pour avoir des contrats. Progressivement, avant même mes problèmes de santé, j’ai commencé à refuser les évènements, j’ai refusé un voyage de 4 jours à Dubaï pour un défilé, puis c’était étrange quand je me retrouvais à prendre l’avion pour aller dans le sud pour une soirée. Un soir, je ne connaissais personne, et je me suis demandée ce que je foutais là. Donc avant même mon interruption, j’avais réduit mes looks à 1 par mois en réutilisant très souvent des pièces, ce qui correspondait à bon rythme pour moi, pour me faire plaisir . Et je ne sais pas si à l’époque ma communauté le remarquait mais mes sacs et accessoires ne variaient quasiment jamais.

Origine social et blogging

Mon origine sociale fait forcément de moi une personne à contre courant dans le monde de l’influence mode (je parle de l’influence issue des blog, qui n’est pas issue de la télé réalité). Sur des centaines de blogueuses, j’en ai rencontrée une qui vient d’un milieu similaire au mien, une arabe et une métisse, on faisait la paire. Toutes les blogueuses à succès maghrébines que j’ai rencontrées étaient riches de naissance, mais quand je les lisais je n’en avais aucune idée, j’étais pas très futée ! Petite je pensais vraiment que tous les gens issus du magrheb étaient pauvres, car j’avais uniquement mon quartier de Metz Borny pour référence ! 😄

Revenons-en à la consommation, je pense que je n’ai rien appris de nouveau durant cette diète, car les pauvres de naissance savent parfaitement ne pas sur-consommer : tu tournes avec un jean, un jogging, 2 pulls, un manteau que tu mets des années, tu as parfois un seul soutien gorge jusqu’à ce que mort s’en suive, du coup tu le prends noir parce que le blanc devient grisâtre au fil des lavages. La bretelle de soutien peut être un des signes les plus flagrants pour deviner l’origine sociale d’une femme. Comme l’entretien des mains, des ongles, du vernis (mon obsession des mains parfaites n’est pas anodine). Comme les bouloches, le sac à main, les chaussures, je ne peux pas le nier, quand je suis avec ma mère je suis confrontée à cela de plein fouet : c’est écrit sur elle qu’elle est « populaire », ce qui n’est pas du tout un problème, je le précise. Ma mère, on pourrait la mettre directement dans un film social qui se déroule à Lille,  vous ne devineriez jamais qu’elle a des papiers algériens. Elle est blonde, ne parle pas arabe, elle a travaille 20 ans au PMU, et sa façon de parler est très caractéristique.

Donc tu penses jusqu’à la bretelle de soutien gorge. Tu ne veux pas passer pour une pouilleuse. Tu dois donner l’impression que ce nouveau milieu que tu rejoins, ne t’es pas étranger. En tout cas quand tu débutes. Il ne s’agit pas de mentir, peut -être qu’il est question de s’éloigner un peu de soi-même mais tout cela n’est jamais conscient. Mes nombreuses lectures ont teinté mon langage qui a toujours été relativement soutenu, je me souviens que j’admirais les femmes très classes à la télé, les business girl tirées à 4 épingles parce que si dans ma famille il y a un charisme indéniable, il n’y avait rien de classe chez nous, ce que ma belle-mère aimait bien nous renvoyer à la figure tous les 15 jours quand on allait chez mon père, qui lui avait vite quitté le quartier avec sa nouvelle femme. J’ai connu des sentiments de honte, que j’ai plus tard regrettés. J’avais honte de mes vêtements, de ma coiffure, de mon manque d’éducation. Je ne voulais pas que ma mère vienne me chercher devant le collège, je voyais bien le regard des vendeurs sur ma grand mère, son accent et ses maladresses, tout, dès qu’on sortait du quartier, permettait de nous « identifier ».

Très vite mes lectures et mes études m’ont fait savoir de quoi il retournait. J’ai étudié les phénomènes de reproduction sociale, je suis consciente d’être une transfuge de classe invisible, depuis la fac, c’est à dire que j’évolue en apparence presque aussi bien dans 2 milieux sociaux opposés. Je savais que je devais aller à contre courant pour changer le destin, et que ma valeur en tant que personne n’était en aucun cas liée à ma classe sociale, au contraire je pouvais être fière de moi. Quand je dis que la connaissance est salvatrice, c’est qu’elle peut changer un destin. Elle permet justement de ne pas tomber dans le piège des schémas de domination.  Pourquoi les décideurs actuels se montrent aussi agressifs avec le « wokisme » ? Pour la même raison que les hommes interdisaient la lecture aux femmes dans le passé.

Mais il s’agit ensuite de préserver les égos : s’il existe des gens qui s’inventent un passé de prolo, qui se revendiquent transfuges de classe alors qu’ils ne le sont pas, c’est qu’il y a une forme de glamourisation autour de ces parcours, parce qu’on sait qu’ils relèvent d’un facteur chance indéniable. Je crache sur la méritocratie et ces discours ici et là de personnes qui ont réussi, qui affirment que si elles l’ont fait, alors les autres aussi peuvent le faire, c’est du bullshit en barre. Dans lequel les mecs de quartier tombent eux-même (cf reportage sur Canal +) : t’en as un pour qui les planètes se sont alignées, qui devient acteur, rappeur ou footballeur, et qui va dire à ceux restés en bas, qu’ils peuvent le rejoindre. Je ne leur jette pas la pierre, c’est parfaitement compréhensible, et il faut maintenir l’espoir d’une façon ou d’une autre, quitte à romancer un peu.

Car quand il n’y a plus d’espoir, il ne nous reste plus qu’à nous fier aux statistiques : les morts et les incarcérations en cité sont bien trop nombreuses, et ne résument pas à des anecdotes et n’expliquent certainement pas par je ne sais quel ensauvagement fantasmé par la droite : Cf plus bas, ces richards qui en guise d’argument sous estiment mes compétences, en m’accusant d’utiliser mon expérience pour en faire une généralité sur l’impact négatif de la classe bourgeoise sur la société (comme pas mal d’hommes reprochent aux femmes de généraliser des comportements isolés :)). C’est d’autant plus agaçant qu’il s’agit souvent de gens qui ont un avis sur base des discussions racistes du dimanche midi.

Je le sais donc de source théorique mais aussi pratique : avoir échappé à une certaine fatalité, avoir réussi à s’en sortir « malgré la merde », suscite beaucoup de jalousie, surtout dans les classes supérieures. Car elle renvoie à une débrouillardise, à une forme de résilience que eux ont rarement, à certaines facultés intellectuelles, surtout quand tu réfléchis mieux qu’eux et mets en difficulté leur capacité d’analyse, ils vont te trouver des défauts pour te décrédibiliser toi, comme si cela allait équilibrer la balance. Et ils transfèrent leur problème d’égo et leur manque d’humilité (une personne précaire va leur apprendre quelque chose, ou toucher leurs privilèges oh mon dieu) à la personne qu’ils jalousent, presque inconsciemment, et qu’ils critiquent. Les bourgeois ne veulent pas écouter les personnes d’en bas de la même façon que les hommes ne veulent pas écouter les femmes (la société étant plus avancée en féminisme qu’en lutte sociale, toujours pour des raisons de classe, je ferai cette comparaison toute ma vie, cf mon post instagram.)

Je n’ai tellement plus l’habitude que j’ai failli oublier les liens du costume :

Pantalon rose pastel large Zara
Veste rose pastel Zara
Basket Nike Air Force
Crop top : old

Voilà voilà, je commence à m’habituer que vous réagissiez à mes articles sur instagram, mais n’hésitez pas à me donner votre avis, à réagir ou à laisser un petit mot par ici <3
Des bisous !

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6 Comments

  1. Aurelie

    La tenue est canon
    Et j’ai bien aimer ton texte !
    Bisous

  2. Tizi

    Ca faisait longtemps contente de te relire :)))

  3. Felicia

    Coucou Jessica!

    Encore une fois je me reconnais dans ton texte. Mes deux parents sont typés : l’un libanais et l’autre réunionnais. J’ai eu « la chance » de jongler toute ma vie entre plusieurs groupes sociaux et j’ai été perçu différemment selon les groupes que j’intégrais. Moi, je me considère juste rêveuse et littéraire, quand d’autres me trouvent tout pleins d’étiquettes. Je me suis sentie à l’aise avec des personnes plutôt de gauche mais en même tant ils venaient pour la plupart de milieux privilégiés et ne semblait faire partie du mouvement que pour se retrouver dans un groupe. Mes idées politiques ne se sont développées que très tard car j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi justement il faut des idées politiques, et puis j’étais trop occupée à survivre à mes parents.. Ça me fou une pression et en plus je dois débattre, alors que mon cerveau est plein.
    Je n’ose m’exprimer que sur ce que j’ai vécu, la pauvreté, la débrouillardise, mon chemin spirituel et intellectuel. Je n’arrive pas à renier à 100% les idées des autres car chacun semble savoir ce qu’il fait et pense bien faire.. Bien sûr, Je ne supporte pas l’injustice, et je ne sais pas fermer les yeux. Je suis désolé pour ton oncle. Ça me donne envie de vomir. C’est tellement injuste.
    Je m’éparpille, mais j’ai tellement à dire. Et puis quand je te lis, je me sens légitime.

    Merci d’écrire.

    Belle soirée à toi et prends soin de toi :)

    1. dollyjessy

      Merci mille fois pour tes commentaires toujours si riches ! Tu te sous estimes énormément car à 25 ans tu es déjà consciente de beaucoup de choses pour dire que tes idées politiques se sont développées très tard. A 25 ans j’étais pas mieux renseignée que toi au contraire, si je ressentais des choses j’étais incapable de pouvoir les expliquer ou les nommer. Car justement comme tu te questionnais sur pourquoi il fallait des opinions politiques, au début on ne fait pas le rapprochement entre la politique et le concret de nos vies, puis on y est confrontés et on n’a même plus le choix !

      J’espère que tu vas oser de plus en plus, avoir été pauvre, être métissée comme toi, c’est une force incroyable et tu peux en être très fière. On nous pousse à cacher tout ça comme si c’était négatif, justement parce que c’est notre force :)

      A très vite, des bisous.

  4. Marie

    Look super sympa j’adore !

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