Mood

« On ne peut plus rien dire », d’ailleurs « c’était mieux avant. »

Oh. Mon. Dieu. J’aimerais tellement pouvoir laisser glisser sur moi la BETISE. Cela me fait mal, non mais vraiment, physiquement mal, là dans mon ventre, quand sous prétexte d’avoir du second degré certains se complaisent dans la médiocrité, en ayant des propos immondes et que pour réponse nous n’aurions pas le droit de monter au créneau au risque de nous voir répondre des phrases toutes faites comme « Oh mais ça va c’est de L’HUMOUR », « rhooo on ne peut plus rien dire », ou encore « Desproges disait qu’on pouvait rire de tout ».

Ah c’est vrai qu’on se marrait quand un alcoolique privilégié blanc, complètement pété traitait une femme de pute sur un plateau télé, oh que c’était irrévérencieux, comme c’était fabuleux de rendre la misogynie et le manque de respect cool. C’est vrai que c’était drôle quand des membres de l’élite littéraire, artistique, intellectuelle, presque consanguine, vous savez cette catégorie de personnes immunisées contre la loi, se vantaient d’aimer les petits anus de 11 ans et d’être amoureux de ce qu’ils pensaient être des petites nymphettes de 14 ans en demande de cul et d’amour éternel. Soyez ouverts qu’il nous disaient, l’Art passe au dessus de toute morale, de toute éthique, plus encore, l’Artiste pour créer, ne doit pas se soumettre à la loi, à la bienséance, doit expérimenter la vie, dans toute sa splendeur et avec toutes ses possibilités, il doit l’explorer, même si cela revient à explorer jusqu’au trou du cul des gosses. POUR L’AMOUR DE L’ART.

Mais dans quel monde peut-on vivre pour s’imaginer, ne serait-ce qu’une seule seconde, qu’il était mieux avant ? C’est le syndrome du vieux con ça, d’être nostalgique d’une époque qu’on aimait surtout parce qu’on était jeune… Et j’ai envie de vous dire que ce n’est pas mieux maintenant pour autant. Quelle idée d’imaginer qu’il existerait une période magique qui serait meilleure que toutes les autres… Laquelle pouvons-nous bien choisir ? Quand l’esclavage existait ? Lorsque le VIH est apparu ? La peste peut-être, ou alors 39-45, ah non la Guerre d’Algérie, ou l’époque coloniale, quoi que la période d’après guerre c’était peut-être pas si mal…

J’ai eu un véritable coup de coeur pour le film 1917, de Sam Mendes (primé aux oscars et golden blog de la meilleure réalisation, quand nous on se coltine le film moisi d’un pédophile, ne cherchez pas…). J’ai pleuré pendant 15 minutes à l’issue du film, comme une gosse qui a un gros chagrin vous savez, d’une part parce que je pleure toujours quand un film me marque, mais aussi parce que pour la première fois devant un film de guerre je ne me suis pas sentie à distance des personnages, c’est comme si tout bêtement, j’avais conscientisé très fortement, sans filtre, ce qu’on faisait subir à ces innocents, à des gosses, parce que la caste supérieure l’avait décidé. On assimilait l’engagement des militaires à du courage, à de l’héroïsme, on avait réussi à convaincre toute une population qu’elle envoyait ses enfants mourrir par HEROISME.

D’une certaine façon on a gagné quelque chose au cours des dernières décennies, on a aussi gagné Trump donc l’équilibre est maintenu, car maintenant on a conscience de tous les sujets sur lesquels on nous ment, des phénomènes de domination qui sévissent partout, et c’est d’ailleurs pourquoi tout semble partir en vrille, pourquoi les sentiments de révolte n’ont jamais été aussi forts, partout…

Bref, revenons au fameux « ON NE PEUT PLUS RIEN DIRE ». Revenons à tous ces gens qui pour défendre leur blague hasardeuse, citent sans vergogne la seule phrase de Desproges qu’ils connaissent, qui pour justifier leur propos invraisemblables évoquent la liberté d’expression. Parce que vous croyez que vos blagues médiocres, misogynes, racistes, bourrés de clichés, auraient été validées par Desproges ? Vous ne jouez même pas dans la même cours, s’il y a une chose qui était mieux avant, c’est peut-être la qualité des gens qui prenaient la parole. Et des messages qu’on voulait faire passer par elle.

Aujourd’hui c’est que tout le monde la prend la parole, même ceux qui n’ont aucune idée de comment le faire. Et qui se plaignent ensuite, quand on les renvoie à leur maladresse, à leur manque de décence ou de prévenance, à leur manque de conscience éthique, de réflexion. Desproges a toujours dit qu’il ne fallait pas se moquer des faibles en réalité, et toi tu le cites pour faire blagues sur des populations discriminées et dominées ?

Au nom de quoi ? Je le redis, de la Liberté d’Expression. Je l’évoquais dans un article de 2016 : la liberté d’expression n’a pas été si durement gagnée, pour permettre à n’importe qui de déblatérer de la merde.

Mais voilà qu’aujourd’hui, dès lors qu’on empêche un connard de tenir des propos racistes, de faire une soirée africaine à base de « blackfaces », on nous balance cette liberté d’expression à la gueule ou le meilleur ami noir.

Oui avant tu voulais faire une blague sur le viol, tu pouvais, c’était accepté mais c’était MAL. Tu pouvais prendre l’accent africain pour parler de bananes sur un plateau télé, c’était accepté mais c’était MAL. Et ce n’est pas les génies qu’on cite toujours en exemple, ce n’est surement pas Desproges qui se serait permis ces blagues.

La question n’a en fait jamais été de savoir si on peut rire de tout, la question est de savoir comment rire de tout. Et dans quel but ? Lorsque Muriel Robin fait un sketch où elle campe une mère homophobe, elle lutte contre l’homophobie, en quoi est-ce si difficile à comprendre ? En quoi est-si compliqué de différencier ce sketch d’une blague homophobe gratuite ?
J’irai plus loin, la question est de savoir comment aborder tous les sujets, car oui ils sont tous abordables, mais par les personnes qui ont les armes pour le faire, dans le respect des droits de l’Homme, et qui savent analyser un contexte.

En tant que personnage public, en tant qu’artiste, en tant qu’humoriste, dès lors qu’on exerce une influence, on a une responsabilité, à commencer par celle de réfléchir. Celle de cesser de citer des gens à qui nous n’arrivons pas à la cheville, par flemme d’apporter de l’intelligence à nos propos. Si pour Desproges on pouvait rire de tout, c’est parce que l’humour est capital, pas simplement parce qu’on a besoin de rire, parce qu’il permet de survivre. Il permet de faire passer des messages, il permet de rassembler, de lutter. Il compte trop pour le malmener sous prétexte que notre époque, avec ses réseaux, autorise cette médiocrité ambiante, et une libération de la parole qui fait très peur.

Le racisme n’a jamais été si décomplexé, et la bêtise si prônée. CE N’EST PAS DE LA LIBERTE D’EXPRESSION. POINT.

Et quand on voit le nombre de journalistes « éduqués » qui finissent dans des émissions comme Balance ton Post, à participer à des débats du genre « Pour ou contre l’IVG », cela n’est pas prêt de s’arranger ! Que dis-je, on donne carrément la parole à Zemmour de façon totalement normale et assumée. Oh. Mon. Dieu.

Je finirai en disant que je n’ai pas dit qu’on devait absolument s’exprimer sur tous les sujets d’actualité dès lors qu’on exerçait une influence. Au contraire, je dis que c’est bien de s’exprimer (j’aimerais que tout le monde le fasse pour les choses qui comptent dans l’idéal), mais pas sans y avoir réfléchi. Et c’est là toute la différence.


Voilà, j’aurais aimé être plus pertinente en vous proposant un article plus construit, mais j’aime parfois écrire des trucs d’une traite, juste pour que ça sorte ! Et peut-être dégager une colère qui ne désemplit pas, que j’ai essayé de taire, mais c’est stupide, car avec cette bride que je me suis mise, je crois bien que je n’avais plus rien à vous dire. Ma vie est ce qu’elle est, je ne peux pas en composer une autre, plus joyeuse, moins grave, elle est ce qu’elle est. Je veux faire avec même si elle ne rentre vraiment pas dans le moule de l’influenceuse qui « marche ».

En tout cas de l’influence comme on l’entend aujourd’hui, quand je serai grande je veux être Virginie Despentes, je veux être Marguerite Duras, je veux être Delphine de Vigan, je n’arriverai jamais à leur cheville, mais les valeurs qu’on a reposent aussi sur les modèles qu’on choisit.

DES BISOUS. PEACE. LOVE.

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4 Comments

  1. Un brin démodé

    Merci pour ce billet d’humeur DollyJessy !

    Je suis dans le même cas que toi, le film 1917 m’a complètement boulversé (dans le bon sens du terme). Se sentir aussi proche des personnages nous fait prendre conscience de leurs sentiments précis au moment des faits.

    En tout cas, c’est toujours agréable de lire cette parole libérée que tu véhicules, sans filtre.

    Au plaisir de te lire

    1. dollyjessy

      Merci c’est très gentil, je suis contente :)

  2. Ocilia

    Je suis en accord total avec tout cet article (y compris ton avis sur 1917, quelle oeuvre !)

    Merci de le partager avec nous.

    1. dollyjessy

      Merci pour ton commentaire Ocilia !

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